Péril pour les forêts

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Promenons-nous dans les bois pendant que… l’abatteuse n’y est pas !

Le printemps est là. Les prunus sont en fleurs et les arbres commencent à se couvrir de jeunes feuilles, les oiseaux chantent et l’air est doux.

Au détour des chemins, nous découvrons des paysages effrayants, arbres coupés, sol mis à nu, défoncé par les ornières laissées par des machines, des tas de bois gigantesques alignés sur les bords des parcelles et puis, plus loin, des plantations uniformes de résineux. Que se passe- t-il ? Ces images sont-elles l’avenir de nos forêts ? Que vont devenir nos futaies ancestrales à la végétation mélangée qui produisaient le bois de chauffage et le bois d’œuvre recherché par les artisans ébénistes, charpentiers, qui accueillaient animaux et insectes différents, baies et champignons qui nous régalaient les papilles et nous réconfortaient le cœur ?

Ce qui est en train de se passer autour de nous est ce qui s’est produit pour l’agriculture française. Le paysan est devenu un exploitant agricole qui, sous prétexte de produire plus, a oublié la nature, a comblé les mares, arraché les haies, aplani les bosses afin que les machines, de plus en plus grosses et chères, puissent maîtriser la terre sans difficulté. Conséquences : un paysage de steppes de monocultures a remplacé la campagne, un peu partout en France ; les agriculteurs sont endettés et travaillent comme des forçats ; les espaces naturels, réserves de biodiversité ont presque tous disparus ; les sols et les eaux sont pollués par les engrais chimiques et les pesticides ; l’extinction des insectes puis des oiseaux et des petits mammifères et chauve-souris est en cours…1

Le champ est devenu une possibilité de prime de la PAC2 ou une production choisie suivant les cours de la bourse agricole mondiale de Chicago ou d’Euronex3.

Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas tout à fait noir, nous avons des zones naturelles difficilement exploitables et à peu près 3 % de surfaces utilisées par des agrobiologistes qui respectent l’environnement !

Quelle politique a mené à ce constat désastreux ?

Des Landes au Morvan, de l’Auvergne aux Vosges en passant par la Dordogne, les forêts deviennent une industrie ! Parée du discours trompeur de l’énergie verte et des vertus de la biomasse, une entreprise massive et silencieuse de transformation de la sylve en matière première se déploie en France. Les abatteuses, les voies forestières aménagées, les centrales à biomasse sont en train de l’avaler, de la quadriller, de la standardiser.

L’objectif des technocrates des ministères et de l’administration européenne est de transformer la forêt en une source de matière première en continu pour les usines de transformation en place avec des produits qui devront être le plus uniformes possibles pour s’adapter aux chaînes de production. Il faut donc regrouper les parcelles et convaincre les propriétaires de vendre leurs arbres et de replanter en résineux, qui poussent vite et apporteront un revenu plus régulier que la forêt traditionnelle. Des entreprises spécialisées dans le reboisement4 font le démarchage des petits propriétaires pour les inciter à se regrouper afin de créer des îlots rentables pour l’industrie et permettant l’accès aux aides publiques.

La fabrication de pâte à papier et de carton est une industrie très gourmande en matériau bois : par exemple, l’entre- prise SILVAMO (ex International Paper), implantée à Saillat (Haute-Vienne), s’approvisionne en partie en Dordogne et consomme 1,3 millions de tonnes de bois par an. Cela correspond à plus ou moins 12.000 ha de forêts coupés à blanc (coupe rase) chaque année.

Châtaignier vieux de plusieurs siècles, en Dordogne. Photo : Krapo Arboricole.

Le Département de la Dordogne5 procède au recensement des parcelles de châtaigniers6 et propose des aides pour les exploiter sous forme de coupes rases avant de les convertir en parcelles de résineux, 50.000 hectares sont concernés.

Ainsi, si nous laissons faire, nos peuplements traditionnels seront progressivement éradiqués, pour faire place à des plantations en ligne, d’essences choisies pour et par les industriels de la filière bois pour une rentabilité à court-terme.

Aujourd’hui, l’engouement pour le bois-énergie augmente la demande en matériau-bois, se rajoutant à celle du bois de trituration (papeterie). Le département souhaite doubler la récolte de bois sur le territoire. Cette politique industrielle qui ne voit dans la forêt qu’une ressource minière, compromet fortement notre avenir.

Or, les milieux naturels, les biotopes diversifiés sont nécessaires au maintien de la vie sur Terre et permettront de trouver des adaptations aux modifications climatiques en cours. Nous ne pouvons compter pour faire les bons choix, ni sur les industriels de la filière bois qui ne voient que l’augmentation de leurs profits, ni sur les pouvoirs publics et les politiques actuelles obnubilés par la croissance et la productivité.

Reprenons notre territoire en main ! Regroupons-nous !

Il existe des associations locales qui agissent pour la forêt comme Forêt sans âge7 et SOS forêts Dordogne8, des associations nationales comme Canopée9 qui cherche à faire évoluer les positions des représentants politiques et les lois.

Soyons convainquant !

Il faut parler autour de nous et faire évoluer les mentalités, notamment celle qui considère la propriété comme le droit de faire ce que l’on veut du bien possédé. Mais un espace de vie n’est pas un simple objet. Parlons des droits communs10.

La forêt française compte 17 millions d’hectares de bois, soit un tiers de son territoire, un patrimoine forestier à 20 % public et 80 % privé qui offre des boisements diversifiés et riches en biodiversité avec plus de 130 espèces d’arbres.

La Dordogne, troisième département forestier de France, compte 418.000 hectares de bois soit 45 % de sa superficie dont 99 % relève du domaine privé. La proportion de feuillus/résineux est de l’ordre de 60/40 aujourd’hui. On y trouve principalement des chênes, châtaigniers, charmes, merisiers, aulnes, frênes, pins sylvestres, maritimes et laricio, sapins douglas et épicéas.

La plupart de nos forêts sont jeunes et extrêmement morcelées. Elles résultent pour une grande majorité d’anciennes parcelles cultivées abandonnées pendant l’entre-deux-guerres. Ainsi, ces anciennes cultures se sont enfrichées et ont permis l’installation de forêts « naturelles » à grande diversité d’essences. Un certain nombre de ces boisements commence aujourd’hui à être matures. Ils sont écologiquement très intéressants et jouent un rôle fondamental pour la préservation de la Nature.

Promouvons les techniques douces de gestion de la forêt !

L’objectif est de maintenir un écosystème riche et vivant. Ne pas faire de monoculture, gérer de façon durable.

Comme dans un jardin où l’on voudrait favoriser une plante sauvage qui s’implante spontanément là où les conditions le permettent, un choix judicieux et limité d’interventions peut favoriser la biodiversité en permettant à d’autres essences de croître. L’enjeu est de démontrer qu’il est possible de faire vivre une alternative à la gestion industrielle de la forêt, de concilier la production de bois, la préservation des écosystèmes et la protection de notre patrimoine forestier.

Achetons des forêts collectivement !

Sachons placer judicieusement ou donner notre argent.

Plusieurs possibilités s’offrent à nous pour participer à l’acquisition et à la gestion collective de forêts. Que ce soit au sein d’un fond de dotation, d’un Groupement Forestier Citoyen et Écologique (GFCE)11 ou d’une association, cette participation peut se faire en apports financiers, en mettant à disposition vos forêts ou votre temps et vos connaissances afin de gérer et animer une structure.

Dans le Périgord vert : Lu Picatau12. Permettons la constitution d’îlots de sénescence.

Logo du GFC (Groupement Forestier Citoyen)
Lu Picatau, dans le Périgord vert.
www.gfclupicatau.fr

En forêt, un « îlot de sénescence » est une zone volontairement abandonnée à une évolution spontanée de la nature jusqu’à l’effondrement complet des arbres (chablis) et reprise du cycle sylvigénétique. C’est une zone de biodiversité inestimable.

Redonnons vie aux artisans traditionnels du bois !

Bûcherons, débardeurs, scieurs, etc. Favoriser la reprise ou le maintien de ces activités traditionnelles est indispensable à une gestion douce des arbres.

Le mot de la fin (de l’article pas de la forêt).

Ne restons pas forestalgique. Nous avons besoin de la forêt, des arbres. Faisons comme eux, plantons nos racines dans le sol et défendons la vie dans l’action.

Ourdrassoul


Sources :

  1. naturefrance.fr/actualites/lampleur-de-la-sixieme-crise-dextinction-confirmee-par-la-prise-en-compte-des-non
  2. agriculture.gouv.fr/la-politique-agricole-commune-pac
  3. Bourses agricoles. www.agritel.com/fr//seance-en-cours
  4. www.allianceforetsbois.fr
  5. www.dordogne.fr/relever-les-defis-du-21e-siecle/developpement-economique/soutien-a-la-foret-et-a-la-filiere-bois/aide-a-la-sylviculture
  6. Châtaigniers. www.sudouest.fr/premium/dans-vos-departements/foret-la-dordogne-au-temps-des-chataigniers-deperissants-7608066.phpwww.dordogne.fr/relever-les-defis-du-21e-siecle/developpement-economique/soutien-a-la-foret-et-a-la-filiere-bois/aide-a-la-sylviculture
  7. Forêt sans âge. foretdordogne.fr
  8. sosforetdordogne.fr
  9. www.canopee-asso.org
  10. lescommuns.org
  11. Une quinzaine de GFCE. www.alternativesforestieres.org/-Les-Groupements-Forestiers-Citoyens-et-Ecologiques-GFCE-
  12. www.gfclupicatau.fr

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