Les modifications climatiques, l’usage abusif ou détourné de l’eau, que ce soit à travers notre utilisation personnelle ou celle de l’agriculture et de l’industrie en général, nous amène à repenser son utilisation. Comment gérer, protéger et distribuer de façon la plus juste possible cette précieuse ressource ?
Durant sa campagne présidentielle de 1974, l’agronome René Dumont montrait un verre d’eau et prophétisait qu’un problème d’alimentation en eau surviendrait. Beaucoup d’entre nous étaient, à cette époque, dubitatifs. Nous y sommes maintenant confrontés.
Où va l’eau ?
Entre 2012 et 2019, le nombre de cours d’eau qui subissent un étiage (débit d’eau exceptionnellement faible) voire un assèchement chronique ou un assèchement complet comme le Doubs, augmente. En faire la liste serait fastidieux tant le nombre de cours concernés s’étend d’année en année 1. Ces modifications d’origine naturelle, souvent amplifiées par l’homme, entraînent un bouleversement de la faune et la flore, comme la disparition d’espèces aquatiques, le manque de recharge des nappes phréatiques et la raréfaction de l’eau de source 2 pour ne citer que ces trois exemples.
On constate également que nos ressources naturelles en eau potable s’amenuisent, du fait de l’intensité du pompage des eaux de sources, qui ne permet plus à la nappe phréatique de se reconstituer au même niveau d’année en année.
Retenues d’eau, bassines et lobby
Les canons à neige se multiplient dans les stations de ski où des retenues d’eau sont constituées pour les alimenter. Ces retenues modifient en outre le cheminement naturel de l’eau dans la montagne, son sol et ses cours d’eau. Si les canons à neige sont, en principe, destinés à ajouter de la neige sur des espaces déjà enneigés, ils peuvent être utilisés aussi sur terrain vierge. Nous voyons, par exemple, surgir des pistes de ski cou- vertes, totalement artificielles comme à Amnéville-les-Thermes, en Moselle 3.
Pour remédier à la question de l’appauvrissement des cours d’eau, ainsi qu’à l’augmentation de l’intensité et de la durée des périodes de sécheresse, les agriculteurs investissent dans le système dit des « bassines ». Ces réserves de substitution pour l’irrigation agricole servent à stocker l’eau pompée dans les nappes souterraines, principalement en saison hivernale, afin de disposer d’assez d’eau durant l’été. En contre-partie, les agriculteurs s’engagent à rendre leur pratique moins polluante, mais quid de l’accaparement des ressources et de l’impact écologique ? Comme le dit Florence Habbets, hydrogéologue et directrice de recherche au CNRS, en répondant au média indépendant Vivant : « Les chantiers des bassines impactent nécessairement la biodiversité… De plus, les études scientifiques montrent que le fait d’avoir de l’eau disponible en grande quantité fait que l’on a davantage tendance à la consommer… dans un contexte où on se pré- pare à rencontrer de plus en plus de pénuries d’eau, on ne peut pas dire que les bassines soient vraiment la solution à appliquer en premier 4 … »
En France, Danone exporte plus de la moitié de l’eau qu’elle puise dans nos sols. L’État laisse notamment aux eaux de Volvic (Danone) le soin de collecter toutes les données de pompage, alors que c’est à l’État de faire ce travail, et pour couronner le tout, Volvic fait son auto contrôle sur des données qu’elle a elle-même relevées, ce qui manque clairement de transparence 5. Petit à petit, on assiste à une marchandisation de l’eau et à sa privatisation.
Sur le plan de la citoyenneté, les associations et collectifs ont tout intérêt à rester vigilants concernant la surexploitation de l’eau et à être force d’action.
Pourtant, des solutions existent
Concernant l’agriculture, ne devons-nous pas penser à des solutions plus pérennes, à des projets viables au long cours en prenant en compte de nouvelles formes d’agriculture, plutôt que miser sur le système des bassines ?
Toujours selon Florence Habbets : « Une agriculture durable, mieux réfléchie, serait d’abord une agriculture adaptée aux lieux et au changement climatique… un sol en bonne santé stocke davantage d’eau… Il existe tout un panel de solutions pour rendre les cultures plus compatibles au milieu, telles que l’agroforesterie, qui permet d’augmenter la biodiversité et de structurer les sols. Les racines profondes des arbres sur un terrain ont également l’avantage de provoquer un effet dit “d’ascenseur hydraulique”, en faisant remonter l’eau dans les nappes, le long des racines, pour alimenter les cultures. De plus, le dérèglement climatique va générer davantage de sécheresse, mais aussi des pluies plus intenses à même de noyer les sols agricoles. Pour leur permettre de résister, les agriculteurs peuvent opter pour des parcelles moins grandes et bordées de haies, de sorte à favoriser l’infiltration tout en réduisant la perte par érosion. »
Protéger l’eau pour elle-même et pas seulement pour les usagers
Sur le plan politique, depuis les années 2000, il y a une nouvelle directive européenne 6 en matière de gestion et de protection de l’eau nommée DCE2000/60, dont l’objet est d’établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines avec une échéance au plus tard à l’horizon 2027.
Sur le plan de la citoyenneté, les associations et collectifs ont tout intérêt à rester vigilants concernant la surexploitation de l’eau et à être force d’action.
Ce fut le cas à Vittel, dans les Vosges, où un collectif de citoyens, L’eau qui mord, a saisi l’association anti-corruption Anticor et porté plainte contre Nestlé pour prise illégale d’intérêts dans la création d’un pipeline pour alimenter les citoyens en eau, plutôt que de réduire leur pompage de l’eau.
Le procès s’est déroulé le 15 septembre 2021 au tribunal correctionnel de Nancy. Verdict : coupables ! Le tribunal a condamné une élue locale et une association officine de Nestlé, La Vigie de l’Eau, pour leurs liens avec Nestlé 7.
Au niveau individuel, la prise de conscience du besoin de mieux gérer notre consommation d’eau progresse.
On voit de plus en plus de citoyens s’équiper de récupérateurs d’eau de pluie pour arroser leurs jardins (particuliers ou collectifs), réduisant ainsi leur consommation d’eau potable traitée du robinet.
Les toilettes sèches font leur apparition et sont utilisées notamment lors d’événements (facilement démontables). Des structures collectives utilisent l’eau de pluie pour les toilettes et autres machines de lavage, qui ne nécessitent plus l’utilisation d’eau potable.
Mêlons-nous de ce qui nous regarde
L’eau est un bien naturel, un bien commun. Elle n’appartient à aucun pays en particulier. Elle est le patrimoine de tous, mais n’est pas répartie uniformément sur la planète : elle est parfois pléthorique dans certains lieux et en pénurie dans d’autres. De sa rareté en certains lieux « découlera » la construction de retenues d’eau pour favoriser les usages en amont des fleuves au détriment de l’aval. Le parcours international de certains fleuves générera des conflits. Parce que l’eau est un bien commun de l’humanité, la problématique est à gérer au niveau des institutions internationales.
Ipsofacto et Jacky Jame
Sources
- https://www.symbo-boutonne.fr/docspdf/etudes/rapport_etude_final.pdf
- https://reporterre.net/De-plus-en-plus-de-cours-d-eau-s-assechent-en-France
- Montagnes – Canons à neige et manque d’eau : exemple à La Clusaz (ina.fr)
- https://vivant-le-media.fr/reserves-substitution-eau/
- https://www.youtube.com/watch?v=JNo04Ajypjw Arte : A sec, la grande soif des multinationales « Vittel et Contrex, sources de profit pour Nestlé… jusqu’à épuisement de la nappe phréatique ? » (francetvinfo.fr)
- https://www.cieau.com/le-metier-de-leau/ressource-en-eau- eau-potable-eaux-usees/quel-sont-les-directives-europeennes-en-matiere-de-gestion-et-de-protection-de-leau/
- https://www.leauquimord.com/ et https://www.youtube.com/watch?v=JNo04Ajypjw