Réduire les déchets = réduire le service ?

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Vent de révolte en Dordogne : le mécontentement se propage autour de la collecte des déchets. En voici les raisons.

Personne ne conteste la nécessité de réduire les déchets. Reste à mettre en œuvre les procédés adéquats, ce qui ne semble pas être le cas en Dordogne avec le déploiement des nouveaux conteneurs…

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte préconise, entre autres, de réduire de 50 % les déchets admis en installations de stockage d’ici 2025. La feuille de route de Nicolas Hulot du 23 avril 2018 prévoit de faciliter le déploiement de la tarification incitative de la collecte des déchets, en fonction de la quantité de déchets produits, pour inciter les usagers à davantage trier et réduire le gaspillage. « Cela peut se traduire par une baisse significative de la facture d’enlèvement des ordures ménagères », affirme alors le ministre de l’Écologie.

Deux poids deux mesures

À Besançon, dans le Doubs, réduire ses ordures à la source en gardant le service de Porte-à-Porte (PAP) est acté. Les conteneurs de chaque foyer sont pucés et pesés à chaque ramassage. Une facture claire permet aux usagers de payer en fonction de ce qu’ils produisent avec une part fixe (50 % des recettes), une part variable poids (40 % des recettes) et levée (10 % des recettes). Un vaste programme de compostage a été mis en place dans toute la ville et 42 % des habitants d’immeubles compostent. En dix ans, les déchets de cette poubelle noire ont été réduits de 37 % et les plus vertueux voient leur facture de redevance incitative baisser : la loi « pollueur-payeur1 » est respectée.

En Dordogne, le SMD3 (Syndicat mixte des déchets de la Dordogne) a fait le choix unilatéral de supprimer le PAP, de le remplacer par des PAV (Points d’Apport Volontaire) et de mettre en place une redevance incitative (RI).

On peut regretter le manque de concertation et de clarification avec les habitants, voire même avec les élus qui ont voté, peut-être un peu trop vite, le transfert de compétence à une seule et même entité, le SMD3, qui décide sans eux.

PAP versus PAV et non-sens

Le PAP est le service bien connu qui a fait ses preuves. S’il devait être amélioré pour répondre aux objectifs de réduction des déchets, devait-il être pour autant remplacé par un système d’une qualité de service inférieure ?

L’abandon du service public de la collecte en porte-à-porte n’est nullement préconisé par la loi du 17 août 2015.

Accessibles avec un badge payant et imposant de déposer les poubelles à des endroits pré-établis, les PAV soulèvent beaucoup de mécontentements : installés loin des habitations et pas toujours accessibles, ils obligent la majorité des usagers à utiliser leur voiture pour aller déposer leurs ordures. Si l’accessibilité est pénalisante pour tous, elle est particulièrement punitive pour les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées, malades ou en situation de handicap. Les aides à domicile sont mises à contribution pour aller déposer, avec leur véhicule, les ordures des personnes dont elles s’occupent !

Des camions spécifiques ont été achetés pour l’enlèvement des conteneurs et leur nettoyage. Le coût de l’opération, auquel il faut ajouter les frais supportés par les communes et les communautés de communes, n’est pas encore connu. Cependant, les seules études préalables ont représenté, selon le SMD3, un budget de plus de 800 000 €.

Redevance Incitative pollueur-payeur ?

La RI (Redevance Incitative) proposée n’a rien à voir avec l’esprit de la loi « pollueur-payeur ». Un abonnement, un forfait et un supplément variable sont imposés par le SMD3.

Un forfait incompressible incluant un nombre de dépôts en PAV qu’il soit ou non utilisé et une part variable dite « incitative », qui est finalement punitive avec 3 € environ pour tous dépôts supplémentaires de sac au-delà du forfait. Le SMD3 dévoie l’esprit de la loi en punissant sans jamais récompenser ceux qui déposent moins en adoptant une attitude vertueuse.

La chambre régionale des comptes de la Nouvelle Aquitaine indique que le mode de calcul retenu pour établir des estimations n’est pas pertinent :

« L’hypothèse d’un surcoût fiscal nettement supérieur n’est pas exclue et appelle à une vigilance renforcée de l’ordonnateur. En second lieu, le coût prévisionnel de passage en RI a été évalué par l’ordonnateur à 6 M€ sur la période 2019-2022. Des doutes sérieux subsistent sur l’évaluation de ce montant2. »

C’est sans doute pourquoi, dans son guide « Communiquer sur la tarification incitative », l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) conseille aux syndicats de ne pas donner d’argument de baisse de tarif dans leur conseil de communication. « La maîtrise des coûts, c’est l’argument le plus sensible. Dans bien des cas, la maîtrise des coûts est vraie pour la collectivité… mais pas pour tous les habitants… À employer avec précaution. Exemples : Trions mieux, payons juste – Poubelles allégées, budget maîtrisé, Je trie mes ordures, je maîtrise ma facture.[…] Ce type de message est source de malentendus. […] Préférer le message de la maîtrise des coûts, plutôt que celui de la réduction3 ».

Colère citoyenne

Les lois (ici, la préservation de l’environnement, la lutte contre le gaspillage par le recyclage, l’encouragement des circuits courts) et l’esprit de la loi ne font pas bon ménage et, in fine, sont mal interprétées et traduites en termes exclusivement économiques et budgétaires. Il est temps de s’en mêler.

Le SMD3 a ainsi déclenché un vent de colère chez les citoyens. Les associations AMCOOD4, ATTAC5, DIGD6, SEPANSO 247, AFP France handicap 24 et un syndicat de retraités, l’USR CGT 24, ont décidé de monter au créneau et d’être force de proposition : selon eux, cela va entraîner la suppression d’un service public à court terme, un service dégradé pour une augmentation régulière des factures.

Devant le manque de transparence du SMD3, qui refuse de fournir des documents normalement ouverts au public, les associations DIGD et ATTAC ont dû recourir à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) pour obtenir les dits-documents, avant le lancement d’une procédure judiciaire. Une aberration !

Besoin de réponses

Finalement, ce dispositif interroge sur la finalité du SMD3. Le PAV présente des difficultés d’accès au dépôt par rapport au PAP et la tarification risque de susciter la réapparition de dépôts sauvages. Enfin, la menace de privatisation de ce service public repose la question de la prise en compte de l’intérêt général par nos élus.

La démarche environnementale étant au cœur de la gestion des déchets, le SMD3 doit clarifier ses objectifs.

Ipsofacto & Jacky Jame


Sources

  1. https://www.youtube.com/watch?v=p_aIwHAEvY0 https://www.tarification-incitative.ademe.fr/Data/ElFinder/s33/JOURNET-BISIAUX-GdBesancon-JTTarificationIncitativeTu- bains-S3-ADEME-Besancon.pdf
  2. https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-09/NAR2020-031.pdf
  3. https://librairie.ademe.fr/dechets-economie-circulaire/3244-communiquer-sur-la-tarification-incitative-9782358385046.html
  4. Association des mécontents de la collecte des déchets en Dordogne.
  5. Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne.
  6. Défendre l’Intérêt Général en Dordogne
  7. Fédération d’associations de protection de la nature et de l’environnement à but non lucratif.