Suspendu, ça veut dire quoi au juste ?

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Hier applaudis aux balcons, les soignants sans pass sont désormais purement et simplement suspendus « pour motif sanitaire ». Mais quelle faute ont-ils commise ?

Jusqu’à cet été, « suspendre un salarié » ne pouvait se faire qu’aux motifs suivants, en suivant une procédure spécifique :

  • accident du travail ou arrêt maladie. Le salarié perçoit dès lors des indemnités journalières en lieu et place de son salaire, sur lequel l’indemnité est indexée.
  • stage de reclassement, congés parental d’éducation (mais aussi maternité, paternité, adoption), chômage partiel, congés de reconversion.

Dans la majeure partie de ces cas, le salaire est maintenu, ou compensé via des « indemnités journalières », et peut être comptabilisé dans les droits à la retraite, au chômage, etc.

Il s’agit globalement d’une mesure de protection salariale vis-à-vis de droits de type « acquis sociaux ».

Mise à pied disciplinaire

Dans le cas des suspensions prononcées pour défaut de présentation d’un pass sanitaire ou de parcours vaccinal complet (selon les métiers exercés et cadre d’exercice de ces métiers), le traitement est très différent :

  • absence de rémunération, pas de compensation indemnité.
  • aucune aide spécifique (chômage, RSA, etc…)
  • aucune cotisation sociale (patronale et salariale), induisant la non-comptabilisation pour l’ouverture des droits à la retraite, le chômage, etc.

Ces mesures sont les mêmes qu’une mise à pied disciplinaire d’un salarié (et les processus tout à fait comparables avec effectivité immédiate par exemple), dont les motifs juridiques ne peuvent être que :

  • faute grave :
    • état d’ivresse pendant les heures de travail ;
    • absences injustifiées ou abandon de poste ;
    • indiscipline ou insubordination du salarié (refus d’effectuer une tâche de travail prévue dans le contrat) ;
    • harcèlement, violences ou injures envers l’employeur ou d’autres salariés ;
    • vols dans l’entreprise.
  • faute lourde :
    • blocage de l’accès à l’entreprise aux salariés non grévistes par des salariés grévistes ;
    • dégradation volontaire d’un outil de l’entreprise ;
    • violence physique et menace de mort envers l’employeur ;
    • séquestration d’un membre du personnel de l’entreprise ;
    • détournement de clientèle au profit d’un concurrent ;
    • divulgation d’informations secrètes ou confidentielles.

Ici, aucune des conditions n’est réunie pour qualifier une faute grave ou lourde.

Finalement, là où la « suspension du contrat de travail » était un outil plutôt favorable au salarié (congés divers avec maintien de droits), la « suspension pour motif sanitaire » se comporte comme une sanction disciplinaire grave, voire lourde, sans motif fondé.

Injustice flagrante

Maintenant, au-delà du caractère légal ou non de cette loi vis-à-vis du droit du travail, il convient de s’interroger sur le sens de la suspension sanitaire : peut-on décemment priver un individu de toute forme de revenu pour une durée indéterminée, et de tout droit à retrouver un revenu, pour un motif de santé publique ?

La France a injecté des centaines de milliards d’euros lors de confinement et restrictions d’activités pour motif sanitaire, et elle a applaudi les soignants « allant en première ligne » sans aucune protection, y compris lorsqu’ils étaient porteurs eux-mêmes du covid, pour leur dire aujourd’hui : vous ne disposez plus d’aucun droit, tout simplement. C’est inéquitable, donc injuste sur le plan juridique, mais également sur le plan moral.

Eve Caducée


Sources