La résistance : expression de liberté ?

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La résistance n’est pas en général une prédisposition, elle s’impose à l’homme par différentes voies et parfois même elle n’est pas revendiquée. Résistance, qui es-tu ?

La capacité de résister n’est pas toujours revendiquée par ceux qui l’ont exercée, certains ont plutôt humblement déclaré qu’ils ont fait ce qui leur a semblé normal de faire dans les circonstances qui leurs étaient imposées. Dans ce cas, ce serait le contexte qui fait le résistant. Pour d’autres à l’inverse, ce sont leurs réflexions, leurs approches des problèmes qui les font se confronter, se déplacer vers les événements. Ainsi, les multitudes d’approches font que le curseur se déplace du choix d’aller vers une prise de conscience immédiate ressentie face à une situation.

Plus une société est autoritaire, plus la résistance se développe

La résistance est une disposition à s’opposer à une situation qui s’impose à nous souvent dans une structure hiérarchisée. Elle n’est pas en général une prédisposition, mais peut être agi par des déterminants. Elle est le résultat d’une réflexion qui peut être la suite d’une émotion dans le constat d’une injustice, d’un excès de pouvoir, d’une limitation de la liberté ou d’une autre valeur etc.

Elle peut être passive ou active et évolue de l’une à l’autre suivant les circonstances auxquelles l’individu ou le groupe est confronté.

Plus une société est autoritaire, plus la résistance se développe, jusqu’à un seuil ou la répression peut l’emporter. Aujourd’hui, le crédit social à la chinoise sonne-­t-­il le glas de la résistance ? Mais rien ne semblait jusqu’ici définitif. La contestation face à un pouvoir est traitée par lui par l’intégration ou la désintégration.

Convaincre ou adapter pour intégrer, réprimer pour désintégrer, sont les stratégies couramment employées par les pouvoirs. Le mouvement des Gilets jaunes a généré deux types de réactions au niveau du pouvoir : celle de l’intégration par les « Grands débats » visant à séparer une partie de l’opinion publique et celle de la répression par la violence, les mutilés, les éborgnés.

Divers degrés de la résistance

La résistance comporte des degrés, une nature différente suivant les situations, en temps de paix, en temps de conflit, en temps de guerre. Elle passe de la visibilité à la clandestinité en fonction des risques encourus.

Elle peut en même temps se contenter d’inscrire sur des murs des signes distinctifs qui permettent à chacun de savoir qu’il appartient à un ensemble non constitué mais surtout à une communauté de pensée et potentiellement d’action-­geste qui peut paraître anodin, mais pour autant répréhensible en cas de guerre ; et de procéder à des actions offensives en passant par la création d’une presse clandestine ou de contestation officielle par des manifestations.

Résister comporte-t-il implicitement un risque ?

Peut-­on appeler résistance une action sans risque ? Comme un premier degré, dire simplement son indignation, puis constituer un groupe ou un contre pouvoir et ensuite s’engager. La résistance est souvent un processus crescendo en temps de guerre, mais peut être un processus decrescendo en temps de paix par épuisement des participants.

Quand la Résistance est un engagement total : Résister, renvoie à la Résistance et aux Résistants, à l’histoire de la deuxième guerre mondiale, le terme de Résistance se charge d’un signifié héroïque. Les stèles, les mémoriaux, les monuments, les musées, etc. ont donné un caractère sacré à toutes les actions contre les occupants et ses supplétifs de la seconde guerre mondiale.

Ce sont les morts, les souffrances qui ont substitué au mot commun de résistance un statut qui en a fait un nom propre donc avec une majuscule.

Le triomphe de la Résistance a, par la prise du pouvoir, développé des antagonismes. Apparaissent les termes de résistantialisme 1, et résistancialisme 2.

Dans ces conditions, utiliser ensuite le mot de résistance pour d’autres occurrences supporte difficilement la comparaison, pour autant la dénomination reste juste. Qu’en est-­il en temps de paix ? Si l’oppresseur est capable d’infliger des souffrances pour arriver à ses fins, c’est cette aptitude qui lui permet de dissuader des contestations d’ampleur et de permettre au pouvoir de se maintenir. Seul un effet de seuil, un grand nombre de contestataires peut emporter un pouvoir, dans un tsunami, mais avec des « pertes humaines » considérables ayant pour but d’évaluer la motivation des résistants devant le danger de mourir.

La résistance : expression de liberté ?

Ce sont les morts, les souffrances qui ont substitué au mot commun de résistance un statut qui en a fait un nom propre donc avec une majuscule.

Sans armes et sans violence

La non violence qui est une des tendances des opposants, utilise elle aussi parfois la souffrance mais retournée contre elle­-même ; l’immolation et les grévistes de la faim tentent de faire infléchir le pouvoir en alertant l’opinion publique. D’un affrontement entre le pouvoir et l’opinion publique résulte une issue favorable ou défavorable.

En Tunisie, Mohamed Bouazizi s’immole en 2010 et déclenche les événements qui aboutiront au départ forcé de Ben Ali. Jan Pallach s’immole à Prague en 1969 après l’invasion de la Tchécoslovaquie. Si son nom est le symbole de la liberté son action ne pouvait déverrouiller une situation créée par un pouvoir impérialiste.

En Irlande en 1981, quatre grévistes de la faim décèdent, Madame Thatcher refusant de modifier le statut de prisonnier politique.

Si la résistance était genrée, l’est-elle encore ?

Le rôle des femmes dans la résistance a connu des points culminants par exemple durant la deuxième guerre mondiale. Les premières manifestations sous l’occupation sont celles dites des « ménagères » ; la pénurie des denrées alimentaires et du charbon met en mouvement les femmes. Lise London, dans son récit La mégère de la rue Daguerre, raconte son action dans ce domaine, qui la conduira en déportation à Ravensbrück.

Cette résistance met en évidence la répartition des rôles au sein des foyers qui perdure jusqu’à mainte‐ nant.

En 1870, pendant la commune de Paris, le 18 mars, l’armée vient chercher les canons, mais le peuple parisien s’y oppose. Ce sont les femmes qui, réveillées les premières, empêchent les soldats de saisir les canons. Louise Michel participe activement sur la butte Montmartre à cette opposition.

Le 5 octobre 1789, à Paris, quelques milliers de femmes mécontentes de la cherté de la vie et de la disette se rendent à Versailles pour parler au roi.

Il n’existe pas une typologie des résistants, tant les mécanismes mis en œuvre sont complexes et s’il devait en être ainsi, alors les comportements seraient prévisibles : la fin des libertés.

Après s’être indigné : se révolter

Ne pas se révolter mais faire du zèle, ou agir d’une façon apathique c’est aussi faire en sorte que les rouages défaillent .

Après s’être indigné : se révolter, un deuxième degré de la résistance active constitue un effet de seuil où l’individu ne peut plus rester spectateur de ce qui l’indigne, il devient acteur.

D’emblée s’impose à lui une limite à son engagement, et il pose la question de jusqu’où il peut aller.

Cependant, cette question va se poser continuellement et la réponse sera possiblement remise en question.

Il est impossible a priori de connaître concrètement ses propres limites. C’est la confrontation avec l’événement qui va décider de l’engagement alors même qu’il n’était pas forcément envisageable. Chacun au travers d’une confrontation découvre ses capacités propres.

Ainsi les générations d’après-­guerre se sont toutes posées la question de ce qu’elles auraient fait pendant la guerre. Question à laquelle il est impossible de répondre individuellement, seules les statistiques donnent une indication qui déçoit ceux qui s’interrogent. Pourtant, la clandestinité, le niveau d’engagement ne permettent pas d’avoir des chiffres exacts et suivant les sources, on notera 3 à 5 % de résistants, 3 à 5 % de collaborateurs et les autres sont des attentistes.

Prise de risque

La prise de risque n’est pas toujours appréciée à sa valeur juste et l’exposition peut dépasser les propres limites pressenties, si elles l’ont été.

Parfois le risque passe à l’arrière-plan, tant être soi­-même est un impératif non négociable pour le résistant : les 5 étudiants du Lycée Buffon se rendent à l’Arc de Triomphe le 11 novembre 1940, puis récidivent le 11 mai 1941 devant la statue de Jeanne d’Arc, éditent un journal, distribuent des tracts, assassinent un officier allemand, sont fusillés. Leurs cendres sont déposées dans la crypte de la Sorbonne.

Résister une fois, souvent, à un sujet, à plusieurs sujets

Résister, c’est d’abord avoir posé et compris ce qu’est l’autorité et être capable de s’y soustraire par une réflexion sur sa légitimité, sa légalité. Remettre en cause ce que l’on a admis comme évident, comme naturel.

L’organisation d’une société n’a rien de naturel, elle s’appuie sur des structures, des pouvoirs qui ne s’exercent pas toujours en faveur de l’intérêt général.

Résister dans le cadre d’une conception de la société peut être une implication dans de nombreux combats avec un ou des collectifs. La résistance peut être le fait d’un seul individu au départ qui peut éventuellement être soutenu ensuite, c’est le cas aujourd’hui des lanceurs d’alerte, qui sont pour la plupart méconnus. Se répandent par les réseaux sociaux et de diffusion les actions de résistance non relayées par les médias dominants.

Il n’existe pas de résistance globale à une société, les mouvements anticapitalistes laissent des angles aveugles, tout ne peut être résolu par l’économie. Les mouvements inter-sectionnels résistent aux impensés de la société ou aux préjugés. « En 2005 les émeutes des banlieues, permettent de relever que beaucoup de ces jeunes n’étaient pas blancs. [….] se vouloir aveugle à la couleur dans une société qu’elle obsède revient à s’aveugler au racisme. » 4

Résister aujourd’hui en temps de paix, c’est quand même prendre le risque d’être gazé 5, interpellé, verbalisé, perquisitionné, fouillé, nassé, mis en garde à vue, condamné, suspendu de son emploi, licencié, matraqué, éborgné, mutilé et parfois de mourir.

Plus couramment d’être fiché « grâce » à l’utilisation du décret du 2 décembre 2020. La surveillance généralisée, le recours à la biométrie, dessinent le chemin vers le crédit social ; et simultanément celui d’une résistance aux pouvoirs autoritaires.

La résistance n’est pas homogène mais elle a besoin, pour réussir de regrouper toutes les composantes. Elle recherche le consensus formel, un unanimisme qui permet le plus grand nombre, les différences sont mises en arrière plan. Ainsi, durant le mouvement des Gilets Jaunes, Ingrid Levavasseur est rejetée par le mouvement pour s’être autoproclamée candidate aux élections européennes, ayant comme conséquence de briser l’homogénéité.

Durer, un défit

C’est cette difficulté à perdurer ensemble unis qui est un point faible lorsqu’il faut proposer, lorsque l’on passe du contre au pour, moment de la division. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Résistance difficilement unie, par Jean Moulin, ne perdure pas politiquement. Henry Frenay souhaite éclipser les partis qui étaient restés discrets pendant l’occupation ainsi que le parti communiste dominant. Il n’y parvient pas et chacun retourne à ses idées d’avant la guerre.

En Tunisie, la résistance est urbaine, aux élections la campagne marque sa différence par rapport aux villes et sort des urnes un attachement à la tradition. Les résultats ne sont pas toujours ceux attendus par les contestataires, l’histoire comporte sa part d’imprévisibilité. L’ensemble de la société n’est pas toujours perméable au sujet mis en avant par les résistants, et les déterminants sociaux, culturels, sentiments d’appartenance etc. , sont autant de barrages à la généralisation d’un mouvement. L’émancipation ne peut se réaliser que par la résistance à son propre conditionnement, par la contestation d’une situation établie, un chemin vers la liberté.

L’histoire s’écrit dans le présent pour l’avenir… aussi est-­il difficile de qualifier quelle est la résistance qui laissera trace, tant un mouvement peut en inspirer un autre.

Si le pouvoir cherche à intégrer la contestation en instituant des journées comme celles de la femme , des droits de l’enfant, des travailleurs, etc. c’est aussi pour cristalliser la contestation dans un rituel annuel qui n’est qu’un minima de progression de la part du pouvoir.

Dispositions psychologiques et besoin de sécurité

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre français, propose une réflexion sur les dispositions psychologiques qui peuvent amener à être en résistance. Il évoque la sécurité donnée par « l’emprise » de la mère dont il faut ensuite se départir 4. Cependant s’opposer à une autorité peut être aussi la soupape de sécurité, le retour du refoulé. Alors comment se libérer de ses déterminants ? « La servitude volontaire » de La Boétie, « la soumission librement consentie » de Joule Robert-­Vincent, Beauvois Jean­-Léon, les expériences de Stanley Milgram sont là pour nous révéler à des degrés divers notre obéissance aux institutions.

Sommes­-nous inconsciemment plutôt pour avant de devenir consciemment contre le pouvoir en place ?

D’autres dispositions psychologiques ne nous invitent-­elles pas à être inconsciemment contre ?

En référence à la pyramide de Maslow, par ailleurs largement critiquée, mais qui propose une esquisse de la hiérarchie des besoins individuels, le besoin de sécurité passe avant le besoin de se réaliser soi­même. De ce fait, résister c’est mettre à l’arrière-plan le besoin de sécurité. Cependant la difficulté s’apprécie dans une interdépendance entre les individus qui sont responsables de leur sécurité et de celle des autres, dilemme souvent difficile à surmonter. La clandestinité s’accompagne d’une organisation qui sépare les individus souvent en sous-­groupes de 3 personnes, ceci afin d’assurer une plus grande sécurité dans la prise de risque.

Une éthique personnelle peut amener à être en résistance. Ainsi Kant proposait : « Tu dois, donc tu peux. »… Mais tu peux aussi ne pas faire ce que tu devrais faire ; c’est cette part de liberté qui nous fait moduler l’agir ; le raisonnement dans l’absolu fait passer à l’arrière-plan les contraintes relatives à notre entourage.

Il n’existe pas une typologie des résistants, tant les mécanismes mis en œuvre sont complexes ; et s’il devait en être ainsi, alors les comportements seraient prévisibles : la fin des libertés.

C’est la détermination de ceux et celles qui vont se réunir, s’unir, agir de jour en jour, de semaine en semaine, qui s’inscrivent dans la durée, qui pourra infléchir le pouvoir. Cette condition demande du temps souvent, mais cela ne doit pas décourager les convaincus.

Ipsofacto

Sources

  1. Le résistantialisme est un mot que l’abbé Jean-Marc Desgranges invente dans Les Crimes masqués du résistantialisme pour stigmatiser l’instrumentalisation politique de la Résistance par certains qui ne furent pas résistants ou le sont devenus très tardivement… Ce mot a été utilisé à la fin des années 1950 par les milieux vichystes.
  2. Le résistancialisme est un néologisme créé en 1987 par l’historien français Henry Rousso pour désigner le mythe, développé surtout par les gaullistes et communistes, selon lequel les Français auraient unanimement et naturellement résisté depuis le début de la Seconde Guerre mondiale.
  3. https://www.youtube.com/watch?v=I9YvILTA5Y8
  4. Manuel Indocile de Sciences Sociales ouvrage-collectif
  5. Gazé : le terme s’est chargé d’une connotation relative au camp d’extermination, pour autant faut-il ne plus l’employer.

Pour en savoir plus

https://www.nouvelobs.com/monde/20091221.OBS1321/dix-ans-de-revolutions-reussies-ou-pas.html


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