Lanceur d’alerte, une prise de risques ?

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Le terme « lanceur d’alerte » apparaît en France dans les années 90, et avant 2016, aucune protection n’était prévue pour les personnes révélant des dysfonctionnements, des dangers constituant une menace pour l’homme, pour l’environnement, la société, etc. Seuls quelques journaux 1 pouvaient porter l’accent sur des actions contrevenant à l’intérêt général avec une prise de risques minimale.

Le lanceur d’alerte doit décider seul s’il met entre parenthèses sa situation, son avenir, pour une cause dont il estime qu’elle le dépasse. Il agit pour l’intérêt général et contre lui-même. C’est cette force éthique qui le guide, cette implication n’est pas le fait de tous.

À titre d’exemple emblématique en juin 2010, Irène Frachon, médecin pneumologue au CHU de Brest2 avait publié Médiator 150 mg : combien de morts ?

Les laboratoires Servier l’assignent en justice. Ce n’est qu’en appel qu’elle sera reconnue dans son action. En 2019, ceux-ci sont condamnés par le tribunal correctionnel de Paris pour « tromperie aggravée » et « homicides et blessures involontaires ». Ils devront verser une amende de 2,7 millions d’euros et indemniser les victimes à hauteur de 180 millions d’euros. Une peine jugée particulièrement dérisoire au regard du chiffre d’affaire réalisé par les laboratoires Servier, avoisinant les 10 millions d’euros… par jour !

Le suivi de l’utilisation des médicaments est une question de santé publique.

Comment est-il possible qu’il puisse être laissé entre les mains d’une seule personne volontaire pour le faire, alors que ce n’est pas sa tâche ?

Irène Frachon reçoit le 11 octobre 2011, le prix « Éthique », catégorie « Lanceur d’alerte citoyen », lors des prix « Éthiques et Casseroles 2011 » de l’association Anticor3.

La Loi du 9 décembre 2016 dite « sapin 2 »

Mise en application au 1er janvier 2018, elle définit ce qu’est un lanceur d’alerte : « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulière- ment ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Protection des lanceurs d’alerte dans la loi « sapin 2 »

Pour bénéficier du régime de protection prévu par la loi, le lanceur d’alerte doit suivre une procédure d’alerte graduée priorisant dans un premier temps la chaîne hiérarchique de l’entité concernée, puis les autorités et, en dernier ressort, le public.

Prioriser la chaîne hiérarchique, n’est-ce pas fragiliser d’emblée le lanceur d’alerte ?

Certains faits ne sont connus que d’un seul ou d’un groupe restreint de personnes. Les collectifs de journalistes d’investigation ont permis de mettre en lumière des scandales. Exemple de collectif de journalistes : Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Les Paradise Papers, une enquête internationale impliquant 95 médias partenaires et 381 journalistes, conduite durant un an sur 13,4 millions de documents fuités, révèle les activités offshores de nombreuses personnalités ainsi que de multinationales.

À contre-courant vint la loi sur le secret des affaires

Une directive du Parlement européen en 2016, transposée en France LOI n° 2018-670 du 30 juillet 2018, réalisée en procédure accélérée, contrecarre la loi « sapin 2 »4.

Voici ce qu’en écrit Le Monde : « De nombreuses associations de journalistes et d’organisations non gouvernementales (ONG) dénoncent des conséquences désastreuses pour tous ceux qui – journalistes et lanceurs d’alerte – seraient amenés à dévoiler au public des manquements importants de la part des entreprises ». Selon l’ONG Anticor, les laboratoires Servier auraient échappé au scandale du Médiator. Personne n’aurait entendu parler « des Panama Papers, des Paradise Papers, du Diesel Gate ou de l’affaire UBS »5.

Nouvelle loi et nouvelle définition concernant les lanceurs d’alerte

La directive européenne du 23 octobre 2019 concernant les lanceurs d’alerte est transposée en France le 16 février 20226.

« Sera reconnue comme lanceur d’alerte la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

Avec ce nouveau statut, le lanceur d’alerte ne sera plus isolé. Il pourra bénéficier d’un entourage informationnel.

Il ne peut en être autrement qu’en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommage(s) irréversible(s), le lanceur d’alerte peut porter directement le signalement à la connaissance des auto-rités ou le rendre public.

Les canaux dont dispose le lanceur d’alerte pour signaler des faits, s’il veut bénéficier d’une protection, sont simplifiés.

La proposition de loi prévoit que le lanceur d’alerte n’est plus tenu de s’en référer d’abord à sa hiérarchie. Il pourra choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen.

Les journalistes seront protégés ainsi que leurs sources d’information.

Des documents officiels pourront être soustraits des lieux où ils sont conservés pour étayer l’alerte.

Une provision pour frais de justice pourra être accordée par un juge.

En effet, des entreprises dont les agissements contreviennent à la réglementation assignent des associations pour assécher leurs trésoreries, ce qui est désigné sous l’expression de « procédure bâillon ».

Lanceur d’alerte garant de l’intérêt général

S’il est constant que l’État ne peut tout vérifier, non seulement il peut s’appuyer sur les lanceurs d’alerte, mais il doit le faire. Comme il doit aussi mettre fin aux dysfonctionnements signalés par les émissions télévisées ou les collectifs de journalistes. Il est aussi de son devoir de mettre en place des structures et les moyens associés pour augmenter les contrôles, et non diminuer les effectifs chargés de ces tâches, au nom de la diminution de la dépense publique.

Les lanceurs d’alerte sont les garants de l’intérêt général. Il a fallu beaucoup de temps pour s’en apercevoir. Cela suffira-t-il à mettre fin à certaines tendances au laisser-faire ?

Ipsofacto


Sources :

  1. « Envoyé spécial » créé en 1990 et animée par Élise Lucet depuis 2016, « Cash investigation » créé en 2012, « Complément d’enquête » créé en 2001.
  2. fr.wikipedia.org/wiki/Ir%C3%A8ne_Frachon
  3. www.anticor.org
  4. www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037262111
  5. www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/18/la-loi-relative-a-la-protection-du-secret-des-affaires-est-elle-une-loi-liberticide_5411299_4355770.html
  6. www.editions-legislatives.fr/actualite/transposition-de-la-directive-europeenne-sur-la-protection-des-lanceurs-dalerte-2

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