L’argent : de la cueillette à la dette… et demain ?

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Notre pays traverse une crise économique historique. Le niveau d’endettement public atteint des records1 , les petites et moyennes entreprises sont écrasées par les emprunts2 , et les fins de mois des ménages deviennent un parcours du combattant inextricable… L’argent serait-il devenu rare ? Que s’est-il passé, que se passe-t-il, que pourrait-il se passer ?

Avant l’utilisation des métaux puis la sédentarisation de l’homme, les échanges
commerciaux existaient déjà, sous forme de troc. Les Cauris (coquillages) en
sont une illustration.

1. UN PEU D’HISTOIRE

Quoi que veuille votre interlocuteur en échange d’un bien ou d’un service, nul besoin de le posséder vous-même, il suffit de lui donner cette monnaie d’échange universel : l’argent. L’argent un accélérateur et un facilitateur formidable de transactions.

Avant l’utilisation des métaux puis la sédentarisation de l’homme, les échanges commerciaux existaient déjà, sous forme de troc. Pour autant, des monnaies d’échanges existaient déjà. Les Cauris3 (ce sont des coquillages), dont il est difficile d’attester la période d’apparition4 , en sont une illustration.

Si la monnaie (pièces métalliques frappées) remonte à priori au vii e siècle av. J.-C. et aurait été produite dans ce qui est aujourd’hui la Turquie5 , l’argent a pu, plus loin dans le temps, prendre d’autres formes. En Mésopotamie, entre le deuxième et le troisième millénaire av. J.-C., des contrats commerciaux valant reconnaissance de dettes sont rédigés sur tablettes d’argile, ou sur papyrus en Égypte.

Que nous apprend le passé ? Deux choses :

  1. L’intérêt que l’humain porte à la monnaie d’échange, avant même sa sédentarisation.
  2. La nature crée la monnaie.

La richesse à portée de main

Coquillages, peaux, silex-outils, nourriture, bétail… sont créés par la nature et transformés par le travail de l’homme. Il « suffit » de le ramasser pour en avoir.

Cet argent-richesse est étroitement lié aux besoins fondamentaux du groupe social qui le possède : nourriture, santé, sécurité, culture, voire culte religieux. Il est nécessaire à la survie du groupe.

En revanche, ces denrées sont souvent périssables. Les transformer en une monnaie d’échange non périssable garantit de pouvoir réacquérir les marchandises vitales. C’est ainsi que voit le jour l’argent sous sa forme métallique, comme l’or : rare, transportable et difficilement oxydable. Il prend ici une valeur symbolique de denrées qu’il sera vital de posséder.

On lui prête la puissance de garantir la survie du groupe par le potentiel commercial qu’il incarne : un matériau sans utilité vitale devient l’assurance de ne plus craindre la pénurie.

Avec le métal apparaît le patrimoine

Autre révolution importante avec l’arrivée du métal comme monnaie : le patrimoine. En effet, l’or est une denrée non périssable, il peut être stocké indéfiniment, et être échangé contre une denrée vitale à tout moment. C’est une révolution dans le monde du commerce. Ainsi, si les grands empires ont pu se construire sur une agriculture forte, ils se sont maintenus grâce à l’impôt, transformé en patrimoine-or.

Cette déconnexion entre utilité vitale par habitant, (nourriture, santé, sécurité, culture) et utilité symbolique (constitution d’un patrimoine hypothécable) marque un tournant majeur dans l’économie. On prête à une denrée inutile la vertu d’être transformée en toute autre, plus utile. Et il s’agit bien d’un prêt de valeur, fondé exclusivement sur la durabilité et l’échangeabilité de ce matériau.

Ici commence l’économie hors-sol

Les billets6 font leur apparition dès le vii e siècle en Chine. Eux non plus ne disposent pas du caractère non périssable.

Le système bancaire actuel trouve une partie de ses racines chez les Templiers7.

En effet, ces derniers ont jeté les bases de Les pièces perdent la valeur liée à leur poids et la rareté de leur matériau, tout en la fonction de banque :

  • La lettre de change pour les voyageurs, afin de ne pas s’encombrer ou risquer d’être détroussés. Ce document attestant qu’une personne a effectué un dépôt dans une commanderie, et pourra faire un retrait dans une autre commanderie du « réseau bancaire Templiers ». L’argent perd son caractère « indestructible », la force de l’or, mais présente d’autres commodités (transportable, non volable puisque nominatif).
  • Le prêt reposant sur un contrat stipulant le montant prêté et les modalités de son remboursement. Là où le commerce s’exerçait essentiellement sur les possessions présentes et le patrimoine accumulé, ici, l’argent se prête au gré d’un argent futur, qui n’existe pas encore du côté de l’emprunteur. Mieux, on peut prêter à quelqu’un l’argent déposé par un autre. Et ce n’est que le début8.

Les pièces perdent la valeur liée à leur poids et la rareté de leur matériau, tout en conservant leur valeur commerciale.

Les chèques font leur apparition (dérivé de la lettre de change impliquant un tiers qui retirera l’argent à la place de l’acheteur).

L’informatique apporte la numérisation9 des informations, puis la carte bancaire.

Avec ces nouveaux outils, les États peuvent battre monnaie et fabriquer de l’argent (billets) à la chaîne moyennant un garde-fou : l’étalon-or10. Pour battre monnaie, un État doit disposer de réserves d’or d’une valeur parfaitement équivalente. Ceci garantit que toute personne ou organisation demandant la transformation de ses billets en or puisse obtenir satisfaction.

Le coût de la dette

Selon l’Insee1, au troisième trimestre 2021, la dette française (de l’État) se monte à 2834,3 milliards d’euros, soit environ 42 146 € par habitant, ou environ 15 mois du Produit Intérieur Brut national.

Une dette à relativiser donc : beaucoup de foyers2 ont emprunté plus de 42 000 euros pour acheter leur domicile.

Par ailleurs, le patrimoine des Français est estimé à 22 000 milliards d’euros3.

La dette nationale représente donc un peu moins de 13 % du patrimoine des Français4.

Le PIB de la France est de 2 300 milliards d’euros5 et de 13 400 milliards d’euros6 pour l’Europe.

La France paie chaque année plus de 50 milliards d’euros d’intérêts sur sa dette.

Cela représente 750 € par an et par Français en moyenne, quel que soit son âge. Près de 3 000 € pour un couple avec deux enfants.

1. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6010921
2. https://www.leblogpatrimoine.com/bourse/etes-vous-riche-quelle-est-la-composition-et-le-montant-du-patrimoine-des-francais-ou-sont-les-riches.html
3. https://www.vie-publique.fr/en-bref/272603-comment-se-repartit-le-patrimoine-des-menages
4. La valeur patrimoniale des 50 % de Français les plus pauvres est inférieure à celle du 1 % le plus riche : 600 000 personnes en France possèdent autant que 33 millions de leurs concitoyens. Et ce phénomène s’accentue d’année en année.
5. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5387891
6. https://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=nama_10_gdp&lang=fr

2. HORS-SOL OU LUNAIRE ?

L’étalon-or disparaît au xx e siècle, durant lequel de nombreuses nations décident de l’abandonner. En cause principalement, les deux guerres mondiales qui ont fait exploser les dettes publiques et fondre les réserves d’or vers les industriels.

De fait, l’argent émis par les États aujourd’hui n’est pas connecté au précieux or. Il s’agit de papier (billets, chèques, lettres de change, contrats de prêts…), de métal (pièces de monnaie) sans valeur marchande réelle. Il n’a plus que la valeur que l’on veut bien lui attribuer.

Mais on ne s’arrête pas en si bon chemin ! Si les banques privées prêtaient jusque- là l’argent déposé par d’autres clients, elles disposent désormais du droit de créer de la monnaie11 par le biais des emprunts. Techniquement, elles font apparaître de l’argent qui n’existait pas avant ! À leur charge de s’assurer que l’emprunteur les remboursera (en réglant des intérêts en sus). À mesure que le capital emprunté est remboursé, la banque supprime l’argent remboursé. Elles peuvent prêter l’argent qu’elles n’ont pas et tiennent littéralement les cordons de la bourse des particuliers, des entreprises, mais également des États.

Les banques publiques, ou banques centrales pour les bien nommer, conservent la possibilité de créer de l’argent en « battant monnaie ». Avec l’Europe et l’euro, ce pouvoir a été transféré à la Banque Centrale Européenne (BCE).

Les pays européens n’ont donc pas le droit de créer des euros. La BCE se refuse pourtant à émettre de nouveaux euros sur le marché pour financer les besoins des États et leurs populations. Pourquoi ?

La loi de l’offre et de la demande

Ce qui est rare est cher. Imprimer de nouveaux billets revient à rendre la monnaie plus fréquente, et donc lui faire perdre de la valeur sur les marchés internationaux. Ceci pénaliserait directement les investissements effectués hors zone euro, celui-ci perdant de sa valeur au franchissement de la frontière. De même, toutes les importations deviendraient plus onéreuses. Faire tourner la planche à billets revient à réduire la valeur de la monnaie imprimée dans les échanges internationaux.

L’investisseur se retrouverait freiné dans sa capacité à commercer à l’étranger. C’est clairement lui qui a le plus à perdre si une Banque centrale bat monnaie. Car les meilleures affaires se font dans les pays les plus pauvres où la main-d’œuvre et les ressources sont les moins chères.

Le consommateur, de son côté, pourrait souffrir de cette inflation sur l’importation, mais bénéficierait en revanche d’un bienfait sur le marché national intérieur, puisqu’il disposerait potentiellement de plus d’euros. Dans un contexte d’économie centrée sur les circuits courts et l’autonomie sur les ressources, il serait le grand gagnant.

Récapitulons…

Initialement, grâce à la récupération dans la nature de denrées vitales, la richesse est alors définie comme la capacité à répondre aux besoins fondamentaux d’une population : nourriture, santé, sécurité, culture.

Les échanges commerciaux sont passés du troc direct de denrées vitales, à l’utilisation de monnaies d’échange non périssables (l’or).

Peu à peu, l’or est remplacé par les billets et formats numériques, déconnectés de l’étalon-or. L’argent n’a plus qu’une valeur subjective.

Là où la création de richesse se faisait par le travail (l’exploitation des ressources naturelles), elle se fait désormais par la spéculation (boursière ou prêt) : on prête aujourd’hui une richesse qui n’existera que demain. Et ça fonctionne plutôt bien, au final, puisque la population et le système économique s’accommodent parfaitement du principe que l’argent n’a que la valeur que l’on veut bien lui accorder. Le système reste en confiance.

Pour favoriser les échanges commerciaux internationaux, la plupart des pays développés préfèrent recourir à la dette (l’emprunt) plutôt que faire tourner la planche à billets.

3. COMMENT SORTIR DE LA CRISE ?

Ce ne sont pas les solutions qui manquent !

Première option : la BCE émet de la monnaie, dévaluant de fait l’euro sur les marchés internationaux. Émettre de la monnaie créerait une perte de valeur de l’euro. Notons que cette perte de valeur porterait sur l’ensemble des produits d’importation dont le prix apparent monterait, mais resterait sans incidence directe sur les produits locaux (essentiellement l’alimentation et les services). Cela pousserait fortement à relocaliser les productions.

Deuxième option : un impôt sur le patrimoine. La dette représentant 13 % de la valeur patrimoniale, un impôt de 13 % viendrait la résorber intégralement. Puisque cette dette court sur des décennies, un impôt de 1 % de la valeur patrimoniale par an suffirait amplement, sur une durée de treize ans. Un temps record12 pour résorber la dette intégralement, et la faire disparaître définitivement.

Troisième option : l’émission d’une monnaie « locale » d’échelle nationale, non spéculative (non cotée en bourse). Cette monnaie pourrait agir sur l’ensemble du territoire national, et être éditée par la Banque de France, sans incidence directe sur les marchés internationaux. Elle pourrait financer une meilleure rémunération, des investissements lourds de transition énergétique et/ou de réindustrialisation et favoriserait le développement des circuits courts, du célèbre « acheter français ». Les exemples belges13 et suisses14, entre autres, sont très intéressants à ce sujet. Une solution simple pour pouvoir battre monnaie à nouveau.

N’oublions pas qu’une fois créé de cette façon (hors emprunt donc), l’argent continue de circuler indéfiniment.

D’autres options : l’arrêt des aides à l’exploitation pétrolière, la taxation des matières premières, la taxe Tobin, la lutte contre l’évasion fiscale, le ré-équilibrage de la balance commerciale et le retour à une production nationale, le développement à l’international des secteurs tertiaires (services) et dépôts de brevets, la redéfinition du modèle économique des géants du numérique, l’arrêt des productions à obsolescence programmée au profit de solutions de locations de biens garantis à vie, le développement de filières d’avenir (numérique, énergies, savoirs, démantèlement nucléaire, espace…), transformation du système de financement de la solidarité nationale (appuyée sur le salariat via les cotisations sociales), droits de succession…

Ces différentes options sont cumulables ou mixables. Il suffit d’une simple volonté politique, donc citoyenne en démocratie, pour générer une nouvelle abondance économique et sortir des logiques d’endettement systémique.

Peut-être conviendrait-il de renouer avec les racines historiques de l’argent. Que la nature ou l’homme le produise, il n’a de valeur que celle que l’on veut bien lui attribuer. Battre monnaie (et plus particulièrement une monnaie locale complémentaire à échelle nationale) reste une solution facile et rapide à mettre en œuvre pour résorber la dette, investir et/ou améliorer les conditions de vie au quotidien.

N’est-il pas temps de retrouver notre souveraineté monétaire, sans même qu’il soit besoin de remettre en cause l’euro et l’activité économique existante ?

Ève Caducée


Notes

  1. 2 834 milliards d’euros. Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6010921
  2. Dont le Prêt Garanti par l’État spécial crise sanitaire.
  3. https://www.citeco.fr/10000-ans-histoire-economie/aux-origines/les-cauris-une-monnaie-de-coquillages
  4. https://www.citeco.fr/les-cauris
  5. https://www.herodote.net/Breve_histoire_de_la_monnaie-synthese-22.php
  6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Billet_de_banque#Origines_et_d%C3%A9veloppement_du_billet_de_banque
  7. https://www.lemonde.fr/talents-fr/article/2008/02/18/les-templiers-moines-soldats-financiers-et-gestionnaires_1012595_3504.html
  8. Pour les Templiers, l’aventure globalement s’arrête là. Le 13 octobre 1307, Philippe IV le Bel, roi de France, couvert de dettes auprès de l’ordre des Templiers, organise leur arrestation pour hérésie, et la confiscation de leurs biens.
  9. Plutôt que l’information transcrite manuellement ou mécaniquement sur papier
  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89talon-or
  11. https://alaingrandjean.fr/2018/07/18/verite-derange-banques-creent-de-monnaie/
  12. La dette française augmente depuis cinquante ans.
  13. https://www.financite.be/fr/article/monnaies-citoyennes
  14. https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9man_(monnaie)